Article de presse - Pharmaceutiques Spécial Métiers et Carrières- décembre 2015
Emploi
En baisse mais dynamique
La France est à la deuxième place européenne en termes d'emploi dans la pharma, mais les effectifs reculent pour la septième année consécutive. L'emploi industriel se fragilise. Le Leem plaide pour une politique volontariste valorisant l'attractivité de l'Hexagone sur la scène mondiale.
L'industrie pharmaceutique n'a pas rompu avec les profits, mais ses effectifs continuent de décroître (- 0,6 %), de manière toutefois moins marquée que le recul enregistré dans l'ensemble de l'industrie (- 2,0 %). Au total, la baisse de l'emploi salarié en 2014 a touché 640 personnes sur le périmètre sectoriel, selon la dernière estimation du Leem. Elle concerne plus les entreprises dont les effectifs sont supérieurs à 1 000 salariés. Le nombre d'entrées estimées par l'enquête est d'environ 11 300, dont un peu plus de 5 000 en CDI, selon le rapport. Ce chiffre intègre les recrutements, l'intégration des salariés d'établissements rachetés par des groupes du secteur, et les effectifs des créations d'entreprises. Globalement, le marché est actif. Les demandes de recrutements émanent plus des start-up que des big pharma, dans des domaines ayant trait aux univers technologiques, diagnostic et dispositifs médicaux, constate Virginie Lleu, fondatrice et directrice générale L3S. 2015 a été une année stable pour les recrutements et en augmentation pour les prestations d'outsourcing et consulting, poursuit Vincent Hogommat, business manager, responsable recrutement et consulting France, Belgique et Pays-Bas, Realstaffing Life Science. Realstaffing a connu en 2015 un plus fort taux de recrutements dans les biotech et chez les façonniers qui sont très dynamiques. Ces mêmes structures sont aujourd'hui considérées comme une bonne école de l'industrie. Nous remarquons un fort dynamisme des biotech et aussi des medtech, renchérit Anne De Landsheer, directeur de Peak Lifecycles. Notamment en early stage, pour des activités essentiellement axées sur la recherche préclinique et clinique et sur des marchés de niche (orphan drugs) ou pour de nouveaux vaccins.
Des demandes variables selon les métiers et les entreprises
Actuellement, le marché est plutôt porteur, confirme Ludovic Jubé, médecin, président d'Altigapharma. Notre activité a évolué de 12,3 % entre 2014 et 2015. Nous notons une demande croissante pour les postes à connotation scientifique (développement clinique, affaires médicales) et une augmentation significative du nombre des MSL. Nous en avons ainsi recruté trois fois plus en 2014 qu'en 2013. Selon Virginie Lleu, les start-up recherchent des dirigeants, des patrons de R&D des directeurs médicaux, avec des profils internationaux qu'on ne trouve pas forcément en France. Plus de 50 % des missions que l'on assure concernent des candidats internationaux, avec une connaissance des réglementations et du business aux Etats- Unis et en Europe. Dans la big pharma, nous avons des missions de direction générale et marketing/ventes mais on nous sollicite également pour renforcer les équipes sur des sujets médicaux, de market access et d'études dans la vraie vie, ainsi que pour des postes d'affaires gouvernementales. Mais il est difficile de faire bouger les candidats pour des postes basés en France car nous ne sommes pas compétitifs en termes de package. En Suisse, aux Etats-Unis ou en Allemagne, les candidats ont entre 20 et 30 % de salaire en plus. La refonte du business model crée de nouvelles opportunités dans la recherche, le market access, la production, la commercialisation et la qualité. Anne De Landsheer souligne que l'activité de recrutement a augmenté en 2015 sur les corporate Europe (37 % vs 30 % en 2014) et relève le bon dynamisme dans les pharmas sur les métiers de public affairs, market access, business intelligence, business development & licensing. Le domaine hospitalier se professionnalise dans les pharmas où les portefeuilles produits et business unit étaient gérés en mixant ville et hôpital. Dans ces organisations, des métiers dédiés à tout l'environnement institutionnel et aux acteurs concernés par l'hôpital se structurent. A noter que Peak Lifecycles recrute pour 80 % de ses chasses des profils hybrides double compétences, voire triples. De manière globale, la perception des candidats par rapport à l'emploi s'est améliorée en 2015 comparativement à 2014, estime Vincent Hogommat. Nous réalisons environ 150 recrutements chaque année et nous avons pu constater que les candidats prenaient plus facilement le risque de passer des entretiens et de rejoindre une nouvelle société. On note également un rééquilibrage des pouvoirs en leur faveur : il n'est pas rare que des candidats disposent de trois ou quatre offres simultanément, avec des contre-offres en termes de salaires, de responsabilités et de flexibilité au travail de la part de leur employeur, ce qui n'était pas le cas antérieurement. On remarque aussi une plus grande solidarité entre candidats : aujourd'hui, les membres d'un réseau se donnent les noms des recruteurs tandis qu'auparavant nous devions les dénicher alors qu'ils étaient en poste.
Une majorité de quadras, peu de jeunes
Le profil de la pyramide des âges présente un profil traduisant une sous-représentation des jeunes et des plus âgés par rapport à l'ensemble de la population active. La proportion de salariés de moins de 30 ans (8,6 %) est nettement inférieure au ratio constaté dans l'industrie manufacturière (15,4 %). Conséquence : l'âge moyen des salariés augmente d'un an tous les trois ans (43,1 ans en 2014). La part des salariés de moins de 26 ans reste modeste dans toutes les catégories d'entreprises. Cette proportion était encore de 5,1 % en 2003 contre 2,7 % cette année. Elle atteint toutefois 6,2 % en intégrant les stagiaires, les contrats de professionnalisation et d'apprentissage. S'agissant des débutants qui souhaitent rejoindre l'industrie, nous avons un vrai travail de sourcing et de conviction à mener, notamment avec ceux qui viennent du monde académique, estime Ludovic Jubé. Ils ne connaissent pas notre environnement, ses possibilités de carrière et ses contraintes. Reste que la population des salariés se caractérise par un nombre important de contrats de professionnalisation, apprentis et stagiaires (4 400 au total) et que ces contrats augmentent avec la taille des entreprises. Nous recrutons des primo-accédants dès lors qu'ils apportent une expertise dans un domaine thérapeutique spécifique, idéalement assortie de publications, et surtout la capacité à se fondre dans un milieu qui leur est étranger, précise Ludovic Jubé. Quant aux seniors, leur nombre continue de progresser en 2014. Les personnels de 50 ans et plus représentent cette année 27,1 % des salariés et 11,8 % de la population du secteur a 55 ans ou plus.
Les médecins, toujours rares
Les médecins sont toujours des profils très recherchés et rares sur le marché, que ce soit pour des postes de pharmacovigilance ou de MSL. Comme l'explique Vincent Hogommat, les laboratoires qui recrutent des MSL se sont ouverts à des profils non médicaux, du fait de la pénurie de médecins. Eux qui étaient quasiment toujours recrutés en CDI sont maintenant mobilisés pour des missions ponctuelles, les sociétés ne voulant plus toujours embaucher en CDI alors qu'elles ne savent pas si elles vont ou non pouvoir lancer un produit. Dans la recherche clinique, l'outsourcing concerne 90 % des offres de postes (CRO). Les laboratoires devraient toutefois veiller à conserver des équipes terrain stables car les KOL ne vont pas forcément apprécier de changer d'interlocuteur tous les six mois. Pour ce qui est de la pharmacovigilance, les ressources en interne n'étant pas suffisantes pour faire face aux exigences imposées par les autorités, les sociétés sont amenées à faire appel à la prestation. Concernant la pénurie des médecins dans l'industrie, sujet récurrent, le niveau d'information des cliniciens sur les carrières industrielles est aussi nul qu'il l'était il y a vingt-cinq ans, commente Ludovic Jubé. Cette désaffection revêt plusieurs causes : ils reconnaissent être plutôt mieux traités à l'hôpital, leurs rémunérations ont été revues à la hausse et l'environnement hospitalier est sécurisant. Ils n'ont donc pas envie de se lancer dans une démarche que certains qualifient d'aventureuse. Plus grave, on glisse vers un rejet de l'industrie suite aux affaires que les médias ont pointées du doigt à juste titre, oubliant néanmoins de rappeler que les industries de la santé sont un contributeur majeur en matière de santé publique. Toutefois, la sauvegarde de l'emploi, un des chevaux de bataille du Leem, est pour Frédéric Bizard, économiste spécialiste des questions de santé et enseignant à Sciences Po Paris, inadéquat par rapport aux enjeux auquel notre système de santé est confronté. Dans une tribune sur RFI, il expliquait l'an passé que les principales économies à réaliser sur les médicaments, sans toucher à l'accès pour tous à l'innovation thérapeutique, sont derrière nous. La consommation de médicaments en France est aujourd'hui dans la moyenne européenne, que ce soit en volume et en valeur. Certes, la ligne de défense classique de l'industrie pharmaceutique centrée sur le chantage à l'emploi est hors sujet par rapport à la recherche d'efficience du système de santé et ses pratiques marketing sont critiquables. Cependant, lui faire supporter plus du tiers des économies chaque année (pour 15 % des dépenses au total) et maintenir le secteur en récession pour la quatrième année consécutive aura un coût sanitaire inévitable à terme pour notre pays. Nous en sommes à la cinquième...